• Phnom-Penh

    Du fond des brumes, Là-bas avec tous ses étages, Et ses grands escaliers, et leur voyages, Jusques au ciel, vers de plus hauts étages, Comme un rêve, elle s'exhume (…), La ville au loin s'étale et domine la plaine, Comme un nocturne et colossal espoir -
    Emile Verhaeren

     

    par Charles MEYER
    Janvier 1968

    1968 : Phnom-Penh, boulevard Monivong

    Avec ses larges avenues bien tracées, Phnom-Penh fait figure de ville modèle.
    C'est une très belle capitale dont on voit ici une des plus grandes artères : le
     BOULEVARD MONIVONG

    Il y a dix ans, Phnom-Penh était une très confortable cité-jardin avec ses coquettes villas et ses bâtiments administratifs qui répondaient parfaitement aux besoins d'une économie presque stagnante. Pressée sur les rives du Tonlé Sap, en face des Quatre Bras - ce confluent unique au monde où le Mékong se scinde en deux pour former le Bassac et où il rencontre le Tonlé Sap qui lui sert tour à tour d'affluent et de défluent - entre son WatPhnom et son palais royal, tout était indolence et douceur de vivre. Cet ancien Phnom-Penh demeure et conserve tout son attrait; mais il ne répondait plus aux besoins actuels.

    Phnom-Penh a connu, ces dernières années, un profond bouleversement. La ville a éclaté, explosé hors de ce cadre, non pas dans le désordre, mais suivant la volonté bien réfléchie de ses planificateurs.

    La ville a été conçue de façon très géométrique et l'étranger ne saurait s'y perdre. Les deux grands axes parallèles au fleuve, formés par les avenues Preah Norodom et Monivong, allant du nord au sud, du Wat Phnom au monument de l'Indépendance, sont coupés d'est en ouest par une série de larges avenues bordées de pelouses et de jardins. Tout récemment, à l'ouest du boulevard Monivong, de grandes percées ont été faites et la ville a doublé en quelques années. Avec la création des avenues de l'U.R.S.S., Kampuchea Krom, Charles de Gaulle, Nehru, Tep Phân, Mao Tsé Toung, qui forment un premier boulevard de ceinture au sud et à l'ouest, une nouvelle et vaste zone urbaine a surgi. Ces grandes avenues aboutiront à quatre portes monumentales comme le veut la tradition angkorienne.

    1968 : Phnom-Penh, stupa Cakyamoni

    Vue de la stupa Cakyamoni

    1968 : Phnom-Penh, flamboyantL'esthétique et l'agrément n'ont pas été oubliés, car chacune de ces avenues a été plantée d'arbres - souvent des flamboyants. En bien des endroits, de nouveaux jardins ont été créés. Se détachant sur de grandes pelouses, les cônes des filaos bien taillés, les dessins géométriques des petits buissons, les massifs de cannas multicolores bien tracés évoquent des jardins à la
    française, mais ils sont bien aussi dans la tradition khmère.

    Cette beauté majestueuse n'est pas seulement extérieure. Elle ne peut exister que grâce aux habiles aménagements des ingénieurs urbanistes. Le problème d'infrastructure majeur de Phnom-Penh est celui de l'eau. La ville a beaucoup de peine à se hisser au-dessus des terres immergées en saison des pluies : vue d'avion, elle offre alors le spectacle étonnant d'une île assiégée par l'eau de toutes parts. Le problème de l'eau est triple : l'alimentation en eau potable, l'évacuation des eaux usées, et surtout
    l'écoulement des eaux de pluie qui peuvent atteindre jusqu'à vingt-cinq fois le volume de la consommation journalière.

    Contrairement à beaucoup d'autres capitales, Phnom-Penh ne manquera pas d'eau. On est en train de créer une très importante usine de traitement des eaux à Phum Prek, au cœur même de la capitale, en bordure du lac d'agrément du Beng Kak. Cette usine viendra s'ajouter aux différentes installations anciennes. Dans un premier stade, elle traitera 200 000 mètres cubes par jour. Ceci sera réalisé en trois tranches : la première de 100 000 mètres cubes, la seconde et la troisième de 50 000 mètres cubes chacune. Les travaux actuellement exécutés sont gigantesques, puisque non seulement il faut développer le réseau à mesure que de nouvelles voies sont tracées, mais également remplacer ou renforcer des tronçons trop vétustes situés dans l'ancien Phnom-Penh.

    Les problèmes d'évacuation sont délicats, la ville étant basse et le niveau des eaux variant considérablement entre la saison sèche et la saison des pluies. Afin d'éviter la pollution, on a imaginé un réseau d'évacuation séparatif, un pour les eaux usées, l'autre pour les eaux de pluie. Les eaux usées, en partie traitées, seront rejetées, non pas dans le fleuve, en face de la ville, mais une canalisation les conduira bien en aval pour éviter la pollution à cause du brassage des eaux aux Quatre Bras. Quant à l'eau de pluie, elle est recueillie dans un système de canaux, de douves et de lacs, et progressivement éliminée. Cette eau très propre constitue ainsi un agrément supplémentaire pour la ville.

    1968 : Phnom-Penh, aéroport Pochentong

    L'aéroport international de Pochentong, à 9 km de Phnom-Penh

    Au cours de ces dernières années, Phnom-Penh a fait un bond en avant à l'ouest, et, comme en Hollande, il a fallu gagner du terrain sur les eaux. La ville s'est développée autour de deux pôles principaux, d'une part sur l'axe Phnom-Penh - Pochentong, le nouvel aéroport international, d'autre part autour du stade olympique. L'avenue de l'U.R.S.S. qui conduit à l'aéroport est une des plus belles de Phnom-Penh. Traversée en son milieu par de larges pelouses quand elle entre dans la ville, elle est bordée de magnifiques immeubles modernes comme le très récent Institut Polytechnique, construit avec l'aide du gouvernement soviétique, ou le ministère des Finances tout flambant neuf. Sur cette voie, le nouveau centre universitaire Sangkum sera achevé d'ici la fin de l'année. Trois facultés sont créées sur une superficie de 18 hectares : une faculté de Pharmacie, une faculté des Sciences et Techniques, et une faculté des Lettres et Sciences humaines. Les salles de cours et les amphithéâtres sont aménagés dans un immense bâtiment de cinq étages. Un immeuble pour loger les professeurs est en voie d'achèvement. Un grand amphithéâtre en voûte a aussi été construit. Il servira de salle polyvalente pour la remise des diplômes, les sports, les spectacles (cinéma, théâtre, musique). Le Centre universitaire Sangkum est situé sur une assiette inondée et tout remblayer aurait été trop onéreux. On a préféré creuser des douves et des canaux qui collecteront les eaux de pluie qui, au moment des plus hautes eaux, seront rejetées par-dessus la digue toute proche qui entoure la ville par des pompes. Ce nouveau centre, avec ses bassins, ses jardins, sa piscine et ses terrains de sport sera un cadre rêvé pour l'étudiant.

    1968 : Phnom-Penh, cité olympique 1968 : Phnom-Penh, le stade olympique
    La cité olympique s'est développée autour du stade.
    Grâce à ces installations, le sport cambodgien
    s'est considérablement développé
    Le stade lui-même est une réalisation remarquable. Construit sur une levée
    de terre au-dessus de douves pour recevoir les eaux de pluies, il est
    composé de huit mille places et du stade proprement dit (soixante mille
    places) ainsi que de deux piscines avec tribunes pour quatre mille personnes

    Le second pôle autour duquel la ville s'est considérablement développée est le stade olympique. Cette grandiose construction, imposante par ses dimensions, a eu des répercussions importantes sur l'urbanisme. Lorsqu'en 1962 commencèrent les travaux, sur l'emplacement de l'ancien hippodrome, on était en dehors de Phnom-Penh. Maintenant, depuis quatre ans, la ville s'est tellement étendue autour du stade que celui-ci se trouve presque au centre de la ville. L'œuvre de l'architecte cambodgien Vann Molyvann est
    techniquement et esthétiquement remarquable. Le stade comprend un palais des sports couvert de 8 000 places, le stade roprement dit avec une tribune centrale et une tribune populaire de 50 000 places, une piscine olympique réglementaire avec deux bassins et des tribunes pour 4 000 personnes.

    Un système de luminaires permet d'utiliser le stade pour des rencontres nocturnes. L'éclairage est si heureux qu'on a l'impression d'être sous un très brillant clair de lune, ou plutôt en une fin d'après-midi. L'espace du palais des sports, très bien conçu, peut se prêter à toutes les métamorphoses ; il peut être utilisé non seulement pour des réunions sportives, mais aussi politiques
    ou artistiques.

    Toute la zone urbaine du stade n'existait pas il y a seulement quatre ans et l'expansion a été spectaculaire. L'extension de la ville vers l'ouest devrait maintenant se ralentir, selon des responsables de l'urbanisme, car la ville est entouré de tout un réseau de bengs et d'étangs qu'on pourra difficilement drainer et remblayer. Il s'agit maintenant de recentrer la ville sur le fleuve et de ne plus la laisser s'échapper vers l'ouest. La vraie vocation de Phnom-Penh est de se situer le long des berges de son fleuve ou même, pourrait-on dire,
    de ses fleuves. Sur le Bassac ou sur la presqu'île de Chrui Changvar, les terres sont plus hautes et on a très peu à remblayer. La résence d'immenses nappes d'eau assure air et fraîcheur.

    Dans cette région deux grands projets sont en cours de réalisation : l'aménagement de la presqu'île de Chrui Changvar d'une part, et de la berge dite le Front du Bassac, d'autre part. La presqu'île de Chrui Changvar, située au cœur des Quatre Bras, couvre une superficie de 700 hectares. On commence à procéder à la distribution des lots pour la construction d'un quartier résidentiel. La réalisation la plus importante sera le futur port de Phnom-Penh pourra recevoir les bateaux de mer de moyen tonnage. On
    procède actuellement au déplacement des riverains et aux premiers travaux.

    La création d'un nouveau port a été rendue nécessaire pour remplacer l'actuel sur le Tonlé Sap, car celui-ci est difficilement accessible, ou du moins nécessite un travail de drague presque en permanence à l'entrée du Tonlé Sap, du fait des brassages et des bancs de sable qui ont tendance à se reformer continuellement.

    La deuxième série de grands travaux est la construction de ce qu'on appelle le nouveau centre civique et culturel sur le front du Bassac. On a déjà construit une salle de conférence, la salle: Chadomukh, de 725 places, très confortables et dont l'immense scène se prête fort bien aux représentations des ballets royaux. On a également achevé le club nautique un peu plus au sud et juste en bordure du fleuve. Plus loin se dresse l'élégante architecture du hall de l'exposition permanente des réalisations de Sangkum. Juste à côté, on est en train de terminer 1e Théâtre municipal. Construit par des architectes khmers, il a la forme originale d'un losange. La partie pointue constitue le foyer d'où la vue sur le fleuve à travers les immenses baies vitrées est magnifique. La salle elle-même contient 1 200 places. La grande originalité de ce théâtre est constituée par sa scène dont le fond amovible peut s'enlever
    pour permettre aux spectateurs se trouvant à l'extérieur de voir le spectacle. La scène peut donc servir à la fois pour le théâtre à l'intérieur et pour un théâtre de plein air.

    A l'ouest du théâtre, a été réalisée la partie la plus importante de ce grand projet : un groupe de grands immeubles, habitations urbaines modèles. C'est là que sont logés de nombreux fonctionnaires. Dans ces 460 appartements, les pièces sont agréablement disposées autour d'une terrasse, et chacun est parfaitement indépendant de son voisin. Ils ont en outre l'avantage d'être très
    bien ventilés et d'offrir une vue magnifique sur le fleuve. Partout, entre ces nouvelles constructions, on a tracé des jardins et des pelouses. Le Front du Bassac n'est pas achevé et le plus grand projet est le Parlement situé entre la salle Chakdomukh et le cercle nautique. Bien d'autres réalisations sont envisagées : un hôtel international, un grand lycée...

    1968 : Phnom-Penh, pont japonais 1968 : Phnom-Penh, le port

    Au cours de ces dernières années, Phnom-Penh s'est beaucoup étendue.
    Un grand pont sur le Tonlé Sap enjambe cet affluent du Mékong
    pour relier la presqu'île de Chrui Changvar au centre ville

    Le port de Phnom-Penh était, jusqu'à la création
    de Sihanoukville, le seul port du Cambodge

    Cette région peut actuellement être mise en valeur grâce à l'achèvement ces deux dernières années de deux ponts importants, l'un sur le Tonlé Sap, l'autre sur le Bassac. Le pont du Tonlé Sap a été construit en acier par une firme japonaise et repose sur quatre piliers de béton. L'autre pont sur le Bassac sera ouvert à la circulation au mois de mai prochain. Il a 270 mètres de long et
    plus de 13 mètres de large, permettant ainsi aux véhicules de passer sur quatre files. Il est en béton précontraint, c'est-à-dire rempli d'une ossature de câbles d'acier tendus qui lui donnent ainsi légèreté et solidité.

    1968 : Phnom-Penh, Dauen Peng

    Le Phnom Daun Penh avec son majestueux stupa.
    Ce phnom est relié au monument de l'Indépendance par le boulevard Norodom

    Ce superficiel aperçu du nouveau Phnom-Penh et de son urbanisme nous convainc que ce que les autorités ont recherché, ce n'est pas de frapper l'étranger, comme on l'a fait dans bien d'autres capitales, mais d'assurer le bien-être des habitants. Même une réalisation aussi grandiose et spectaculaire que le stade olympique a une profonde répercussion sur la vie des Cambodgiens. On ne saurait parler de dépense somptuaire. C'est un peu grâce au stade que les Cambodgiens, peuple sain mais assez peu sportif, ont découvert depuis quelques années le sport. Le stade est devenu une fierté nationale et jusque dans le plus petit village, en fin d'après-midi, la jeunesse pratique son sport favori. Le Cambodge ne construit plus des temples pour exalter la transcendance du dieu-roi, mais un stade qui exalte un peu la valeur de chacun.

    Le Cambodge peut aussi être fier des nouvelles réalisations de Phnom-Penh, car, contrairement à ce que croient beaucoup d'étrangers, elles ont été financées non pas par une aide extérieure, mais par le pays lui-même. C'est le budget national qui a financé le stade olympique, le nouveau centre universitaire Sangkum. C'est le pays qui a déboursé les 117 millions de riels et les 97 millions de riels qu'ont coûté respectivement le pont du Tonlé Sap et le pont Monivong. On ne peut s'empêcher de souligner les efforts du
    Cambodge qui a réussi à se doter d'une belle capitale par ses propres moyens.

    Le développement de Phnom-Penh au cours de ces dernières années a été tellement important qu'on est presque en droit de se demander si la ville ne va pas atteindre une taille démesurée. Si un tel rythme devait continuer, les charges de la ville pour l'aménagement de l'infrastructure deviendraient trop lourdes. En effet, les Cambodgiens ont pu jusqu'à présent vivre dans des
    villas indépendantes, dans la tradition du pays, avec à la fois de l'espace et de la verdure. Il faudrait que dans l'avenir les Khmers s'intéressent davantage à un mode de vie plus urbain pour qu'on puisse construire davantage en hauteur et libérer ainsi le sol. Dans les années à venir, une nouvelle harmonie devra être trouvée entre l'habitat traditionnel cambodgien et les exigences d'une ville moderne.

    1968 : Phnom-Penh, le marché

    Le marché central de Phnom-Penh.
    Les claustra du grand pavillon et des deux grandes ailes de trois étages permettent l'aération nécessaire

     

    image séparateur

    (c) Apsara2001

     

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