• Que n'ai-je été doué de la plume d'un Chateaubriand ou d'un Lamartine, ou du pinceau d'un Claude Lorrain, pour faire connaître aux amis des arts combien sont belles et grandioses ces ruines ! (Henri Mouhot,1863)

    par Bernard Groslier
    (George Groslier a accumulé les titres et les fonctions au cours d'une carirère vouée toute entière au Cambodge. Il fut à la fois protecteur des arts, homme de science, écivain, ethnologue et romancier, photographe et dessinateur...)
    Janvier 1968

    Angkor Vat, vue aérienneLe Khmer était doué d'un exceptionnel génie plastique. Avec un instinct infaillible pour la forme, une sûreté de goût admirable dans le décor, servi par une habileté manuelle hors pair, il a fait du plus modeste objet une chose belle. On ignore s'il excella pareillement dans les autres arts, mais dans les domaines de l'architecture et de la sculpture, il a pris rang parmi les premiers.

    Malheureusement nombre de ses créations ont disparu. Les demeures des rois et des grands étaient construites en bois, et rien n'en subsiste non plus que des fresques et, du somptueux mobilier, des tissus et des bijoux follement riches dont elles regorgeaient. En fait, seule la pierre a résisté au temps et aux mains avides. Comme elle ne fut utilisée, en dehors des ponts et des enceintes, que pour les temples, nous ne connaissons pratiquement que l'architecture et la statuaire religieuses khmères.

    Cette architecture fut essentiellement symbolique et elle doit être jugée de ce seul point de vue. Les Khmers ne se soucièrent point de bâtir des édifices utilitaires afin d'abriter une foule de fidèles, mais de matérialiser, à une échelle souvent colossale, la demeure des dieux telle qu'ils l'imaginaient.

    C'est-à-dire une montagne sacrée. Ce qui comptait donc pour eux était l'aspect final, et ils pratiquèrent bien plus une véritable sculpture "dans l'espace" que l'architecture selon l'acception occidentale du terme.

    En fait les matériaux, brique d'abord, grès plus tard étaient entassés rapidement, par simple rodage, et cette masse brute, façonnée et décorée comme le serait une statue. Les plans nous paraissent monotones : c'est que l'imagination y a moins de part que les prescriptions rituelles qui n'ont guère changé au cours des temps. D'ailleurs, les sanctuaires primitifs étaient construits en bois et tout au long de l'évolution de l'architecture khmère ces origines se reconnaîtront. On répétera indéfiniment des tours de main et des dispositifs valables seulement pour le bois, absurdes dans une construction de pierre. Mais on les perpétuait parce qu'ils remontaient aux origines les plus vénérables de cet art sacré.

    Or malgré ces contraintes religieuses, ces moyens réduits, ces maladresses évidentes, les Khmers ont élevé des ensembles uniques ! D'abord parce que leur habileté a su tirer parti du noble grès d'Angkor. Ensuite et surtout, parce que leur sens de la composition et du rythme leur a permis de dresser les masses solennelles de ces temples qui commandent l'espace. Et cela
    d'autant plus noblement que les sanctuaires s'avaient au cœur d'immenses cités tracées en perspectives d'eaux et de lumières.

    Car, en dépit de la forêt qui l'étouffe aujourd'hui, on doit se représenter qu'au temps de sa gloire Angkor était une immense suite de villes étalées sur plus de trente kilomètres d'Est en Ouest, sur plus de vingt kilomètres du Nord au Sud, où de chaque temple partait vers chacun des points de l'espace une double voie de terre et l'eau aboutissant à un autre temple, parmi les miroirs étincelants de milliers de lacs et de douves.

    L'élément fondamental de l'architecture khmère est un simple sanctuaire carré, axé sur les quatre points cardinaux et ouvert à l'Est, surmonté d'une tour à faux étages multiples, affectant la silhouette d'une tiare. Une enceinte, percée de portes axiales, plus ou moins richement décorées, complétait ce dispositif. La cellule intérieure ne contenait que l'idole et ne recevait que les grands prêtres. Les fidèles avaient seulement accès à la cour où ils déambulaient rituellement autour du monument, en admirant la somptueuse décoration extérieure qui proclamait la gloire du dieu.

    Après les édifices en bois, tous disparus, la tour sanctuaire fut, à partir du VIIe siècle, construite en brique, recouverte d'un stuc qui recevait une décoration ciselé souvent rehaussé d'or et de couleurs. Plus tard, vers la fin du Xe siècle, on n'utilisera plus le grès, du moins pour les parties visibles, les fondations et le gros oeuvre étant réalisés en latérite. A la tour unique des sanctuaires primitifs, on substituera ultérieurement plusieurs tours, disposées en ligne de trois ou en quinconce de cinq sur une terrasse.

    Les Khmers créèrent de plus une composition qui suffirait à consacrer leur génie plastique : le temple montagne. Au point de vue technique c'est tout simplement, dressées au sommet de plusieurs terrasses superposées en pyramide décroissante et desservies par quatre escaliers axiaux, une ou cinq tours sanctuaires, correspondaient aux cinq pics qui couronnent le mont Méru.

    Angkor-Vat fut le triomphe de cette magistrale composition. La porte principale de l'enceinte extérieure, à l'Ouest, étira entre trois tours une galerie de piliers reproduisant et annonçant l'ordre de la façade principale. Sur le temple proprement dit, la galerie de pourtour du premier étage vit son mur extérieur remplacé par des piliers, contrebuté par une demi-voûte, également sur piliers. Ainsi la lumière pouvait entrer à flots et baigner le mur intérieur, où furent sculptés des bas-reliefs. Entre le premier et le second étage, des
    galeries relièrent les débouchés des escaliers occidentaux dessinant un gracieux cloître cruciforme. La tour terminale fut également reliée aux quatre escaliers par de semblables passages couverts. Par-dessus tout, la noblesse des tours et des frontons, étagés sur le ciel, firent de ce temple une véritable symphonie architecturale.

    Si le Bayon conserva le principe des terrasses superposées ceintes de galeries à bas-reliefs, des remaniements ultérieurs l'écrasèrent sous une terrasse centrale portant un gigantesque massif circulaire terminé par quatre visages colossaux. Cette tour à visages est la plus étonnante invention de l'époque. Elle se dresse au-dessus de chacun des redans des galeries et des pavillons du temple, constituant finalement une véritable forêt de 49 tours, soit 196 visages monumentaux, regardant vers tous les points de 'espace, qui enserrent et finissent par hanter le visiteur.

    C'est d'ailleurs la caractéristique essentielle de ce style, que ces monuments symboliques. Néak Péan, avec ses multiples bassins, est comme la maquette réduite d'une source miraculeuse de l'Himalaya, oa Pon pouvait guérir de tous ses maux. Devant chacune des portes d'Angkor-Thom et du Préah Khan, 54 statues colossales des dieux et des démons tenant le serpent nâga illustrèrent
    dans l'espace le mythe du Barattage de la mer de Lait, qui procura aux dieux la liqueur d'immortalité et qui symbolisait surtout la félicité que le roi répandait sur ses sujets par ces ouvrages fantastiques.

    Vase en forme de lotus. XIIe siècle, bronze

    Vase en forme de lotus. XIIe siècle, bronze - 0,24x0,33 cm.  Provenant de Damroeun - Angkor Borei (Takeo).
    Cet objet gracieux, souvent décrit comme un brûle-parfum sans que rien ne puisse l'attester, reproduit le calice d'une fleur de lotus bleu.
    De la tige à l'élégance sinueuse surgit, telle une feuille, un nâgâ aux multiples têtes, semblable à ceux de Beng Méaléa.
    Des petites figures, difficilement identifiables, ornent les extrémités reposant sur les pieds.
    Dès le XIIe siècle, les bronziers, parfaitement maîtres de leur art, ont mis totue leur imagination au service de leur virtuosité,
    comme en témoigne ce vase délicat et harmonieux

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    (c) Apsara2001


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